Une vie interminable !

Jour 128

Je me réveille endolori, d’un sommeil agité, d’une nuit trop courte. La pièce est sombre, un chiche rayon de lumière filtre à peine de la lucarne recouverte de mousse. Mes deux comparses se sont aussi réveillés en sursaut. Ils transpirent à grosses gouttes, leurs uniformes sont sales, leurs regards s’attardent sur nos chars, un nouveau est encore arrivé cette nuit, un VK 3601H. Je ne me souviens pourtant pas avoir été réveillé cette nuit, étrange.

L’alarme résonne, une attaque est imminente. Instinctivement, nous démontons le filet de camouflage du LeichtTraktor pour l’installer sur le nouveau tank. Nous sautons à bord et nous découvrons avec stupeur un nouveau soldat. Pas le temps de faire connaissance, nous sommes projetés dans Himmelsdorf, je ne me rappelle pas du trajet entre le garage et la cité, étonnant. La ville est en ruine. J’ai encore une fois cette désagréable sensation de déjà vu. Des bribes de souvenirs jaillissent de ma mémoire. Autour de nous, d’autres tanks, d’autres nations, je connais nos ennemis, je connais les chars que l’on va affronter, sans les voir, flippant.

Une autre alarme retentie, tous les chars se mettent en mouvement. Je demande au pilote de tourner à droite mais une force irrésistible m’oblige à donner l’ordre de tirer sur un char allié, sans raison aucune. C’est stupide mais je ne peux m’empêcher de contredire l’ordre. Notre VK3601H fait feu mais ne perce pas un IS3, chanceux nous sommes.

J’entends par la radio en anglais que notre tir n’a pas été bien perçu, logique. Ce qui l’est moins, c’est que j’ai de vagues connaissances en anglais, je suis pourtant allemand. La radio s’affole, des langues étrangères dont je ne comprends pas un traître mot résonne dans la carlingue.
Pris d’une irrépressible envie, j’envoie 15 fois les mêmes coordonnées par la radio, mais pourquoi ai-je fait cela ?
Je souhaite toujours partir à droite mais mon corps ne me répond plus, le tank tourne à gauche. Je suis comme un pantin, désarticulé, désabusé. Nous arrivons sur des rails, des wagons peuvent faire office de couverture. Je crie l’ordre d’arrêter le char mais rien n’y fait, rien ne sort de ma voix. Je regarde désespérément mon équipage, ils sont frappés du même syndrome que moi.

Notre tank continue son avancée rapide, trop rapide. Nous essuyons un premier tir. L’opérateur radio est mort. Je recherche la trousse de secours mais il n’y en a pas, pourtant j’en embarque toujours une à bord, incompréhensible.
Nous apercevons au loin un tank ennemi. Je ne me sens pas à l’aise dans ce nouveau char, j’ai la nette impression que mes compétences ne sont plus ce qu’elles étaient. Nous tirons, nous loupons. Un autre tank ennemi nous prend à revers. Impossible de donner l’ordre de repli, je reste médusé et je donne l’ordre suicidaire, contre mon gré, de rester sur place et de retenter un nouveau tir. Bataille foireuse. Nous encaissons un autre tir, la tourelle est hors service. Que m’arrive t-il ? Je sais réparer des tourelles en temps normal et aujourd’hui impossible de le faire. Après de longues secondes d’attente, notre char se met enfin à couvert.

Dieu nous joue un mauvais tour, nous sommes ses marionnettes, objets de divertissement, il envoie mon équipage à une mort certaine en à peine deux minutes. Miraculeusement, nous sortons indemnes du char qui est complètement détruit. Je ferme les yeux pour me remémorer la bataille. Nous devons au moins ramener le corps de l’opérateur radio. Je replonge à nouveau dans la carlingue, ou plutôt la carcasse, pour me retrouver comme par enchantement dans notre garage, l’opérateur en vie.

L’alarme sonne encore mais cette fois, c’est un autre équipage qui s’en va, des français je crois. Troublant que je me retrouve avec des français dans un garage, ce sont nos ennemis pourtant.

Ma tête me fait souffrir, j’ai l’impression de revivre inlassablement les mêmes moments, les mêmes lieux, les mêmes batailles. C’est assez, je dois absolument m’enfuir d’ici, m’enfuir loin de ces batailles incessantes, sans vainqueurs ni vaincus, sans gloire ni honneur. A la recherche d’indices, j’arrive à trouver un contrat dans le garage, au nom évocateur de « KikiToutdur75 ». Je parcours rapidement le document et j’y déchiffre des transactions financières en or et en euro, mais qu’est ce donc l’euro ?
Le tireur de mon équipage trouve des documents encore plus étranges, des documents codés sans doute, à base de WR 42%, WN7 500, indéchiffrables.

Un bruit assourdissant se fait entendre. Notre VK3601H vient d’apparaître subitement, en piteuse état, puis la tôle se redresse d’elle-même, les caisses à obus sont de nouveau pleines, le filet de camouflage n’est plus brûlé. L’enfer va de nouveau recommencer, notre Dieu va encore se rire de nous, nous torturer, prendre les décisions désastreuses et nous faire revivre ce cauchemar éternellement. Que cet enfer cesse, je ne veux plus repartir en bataille, je ne veux plus entendre « siemka » à longueur de journée, je veux juste arrêter, mourir et ne plus ressusciter. 

Hippalion

Commentaires